Faire nos futures semences (Par la ferme de Rocanadel)

  • Le 06/09/2022
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Chers tous,

Voici un article de Sophie, de la ferme de Rocanadel (lafermederocanadel.com), une véritable initiation pour un esprit paysan proche de la nature et éloigné à 180° de l'agro industrie. N'oubliez pas que c'est maintenant qu'il nous faut nous préoccuper de nos futurs légumes (qui finiront par être inachetables).

Je laisse la parole à Sophie :)

Mon mari et moi sommes paysans sur une petite ferme avec 11 hectares dont la moitié cultivable en Dordogne. Nous cultivons l’autonomie sous toutes ses formes (alimentation, énergie, santé). Pour cela, nous pratiquons en particulier la polyculture/élevage. L’activité commerciale de la ferme est la production de semences paysannes, que nous sommes les premiers à utiliser. Je n’ai pas suivi de formation pour la production de semences, je l’ai apprise en autodidacte. C’est à la portée de tout le monde…

Qu’est-ce qu’une semence paysanne ?

Définition inspirée du site internet du Réseau Semences Paysannes.

Les semences paysannes sont issues de populations dynamiques reproduites par le cultivateur, ou le jardinier, au sein d’un collectif ayant un objectif d’autonomie semencière. Elles sont et ont toujours été sélectionnées et multipliées avec des méthodes non transgressives de la cellule végétale et à la portée du cultivateur final, dans les champs, les jardins, les vergers conduits en agriculture paysanne, biologique ou biodynamique. Ces semences sont renouvelées par multiplications successives. Les semences paysannes sont librement échangeables dans le respect des droits d’usage définis par les collectifs qui les font vivre.

En somme, c’est ce que faisaient nos ancêtres depuis le début de l’agriculture jusqu’aux années 1950 ou 1960.

Pourquoi produire ses semences ?

Jusqu’à ce que les grosses entreprises semencières arrivent dans les années 1950 ou 1960, personne ne se posait la question de la production de semences, cela faisait partie du travail du paysan.

D’après mon mari, son grand-père qui était né en 1899, n’avait jamais acheté une semence de céréale ou de maïs. Pour le renouvellement, les paysans faisaient des échanges entre eux. C’était naturel.

Aujourd’hui, la situation est très différente. Quand on parle de produire ses semences, c’est quelque chose de très particulier, voire d’étrange, et surtout de très compliqué, pour beaucoup de gens, à commencer par les agriculteurs. Le savoir-faire est quasiment oublié de tout le monde.

La base de l’autonomie alimentaire, c’est la semence… Sans semence, on ne produit pas de légumes, pas de céréales, pas d’alimentation animale. L’autonomie semencière est primordiale pour l’avenir.

Produire ses semences permet également d’adapter au fil des années les différents végétaux à notre terroir (sol, climat, technique culturale, …).

Où acheter ses semences pour démarrer ?

Je ne veux faire de publicité pour personne. Je ne parlerai là que de mon expérience.

Etant producteurs de semences, nous avons un site internet (lafermederocanadel.com) sur lequel nous commercialisons notre production.

Nous achetons ce que nous ne produisons pas chez Germinance ou au Biaugerme.

Germinance est une petite entreprise qui se trouve près d’Angers et qui travaille avec environ soixante producteurs en France métropolitaine, et qui achète quelques lots en Suisse, en Allemagne et aux Pays-Bas.

Le Biaugerme est un groupement d’une douzaine de producteurs autour de Montpezat dans le Lot et Garonne.

Du côté de Carcassonne, vous trouverez également Graines del Païs qui travaille un peu comme Germinance. 

Il y a également Kokopelli que tout le monde connaît pour qui j’émets quelques réserves. Une partie de leurs semences est produite en Asie. Il y a souvent des problèmes de pureté variétale, voire de qualité de germination. Après discussion avec certains de leurs producteurs français, l’éthique n’est pas toujours au rendez-vous. Ils restent intéressants quant on recherche une variété que l’on ne trouve pas ailleurs. Dans ce cas, il faut s’empresser de reproduire la semence concernée.

Certains connaissent également la Ferme de Sainte-Marthe. Je n’ai pas d’avis les concernant, je n’ai jamais travaillé avec eux.

Acheter en jardinerie ou en grande surface me paraît la pire des solutions. Ce sont des multinationales qui font presque tout produire en Asie ou en Afrique (main-d’œuvre très bon marché, possibilité de faire deux récoltes par an et mauvaise adaptabilité des semences).

Comment produire ses semences ?

C’est un sujet très vaste que je ne pourrai pas détailler ici. Rien ne vaut l’expérience sur le terrain…

Tous les producteurs de semences que je connais utilisent le livre de Christian Boué « Produire ses graines bio ». L’auteur était l’un des producteurs du Biaugerme. Il est maintenant à la retraite. J’utilise également un deuxième livre « Semences potagères, le manuel pour les produire soi-même » d’Andrea Heistinger, l’Arche Noah et Pro Specie Rara. Ils sont complémentaires.

Il faut un minimum de matériel pour la production de semences : des tamis de maçon pour nettoyer les graines, des seaux pour les récoltes et des vieux draps non percés pour mettre les porte-graines à sécher.

Le principe de base pour produire ses graines est assez simple. On laisse la plante faire son cycle complet. Bien sûr, ça paraît assez simple dit comme ça, mais ce n’est pas toujours le cas.

Il faut tenir compte des spécificités de chaque espèce. Certaines plantes sont autogames (tomates, poivrons, aubergines, etc.), donc n’ont pas besoin de facteur extérieur pour être pollinisées, mais peuvent être visitées par des insectes et il y a un risque de croisement entre deux variétés. D’autres sont allogames (maïs, carottes, oignons, poireaux, courges, etc.), donc pollinisées par un facteur extérieur, le vent (plantes anémophiles comme le maïs) ou les insectes (plantes entomophiles comme les carottes). Chaque type de plantes a besoin d’un espacement entre les variétés pour ne pas se croiser. Pour les courges et courgettes, c’est très compliqué de laisser faire la nature. C’est beaucoup plus sûr de faire de la pollinisation manuelle. Ca prend juste un peu de temps le matin, de préférence avant que les abeilles sortent et en fin d’après-midi.

Pour savoir si deux variétés sont susceptibles de se croiser, il faut avoir le nom botanique (latin). Des variétés qui paraissent assez éloignées peuvent très bien se croiser, par exemple les betteraves et les blettes (Beta vulgaris pour les deux).

Vous avez dans vos jardins des plantes annuelles, qui font leur cycle complet en un an (haricots, pois, basilic, tomates, cosmos, etc.), des plantes bisannuelles, qui font leur cycle complet en deux ans (carottes, betteraves, poireaux, la majorité des choux, etc.). Il faut absolument arracher une plante bisannuelle qui monte en graines en première année de culture. Ca arrive sur les semis de printemps de carottes et parfois sur les betteraves et les blettes. Ca peut arriver également avec les oignons si on plante des bulbilles pour commencer.

Arrive le moment de la récolte. On peut consommer certains des fruits sur lesquels on récupère les graines (tomates, courges, poivrons). La majorité des autres plantes ne sont plus consommables une fois que les tiges porte-graines commencent à pousser (choux, betteraves, oignons, radis, laitues, etc.).

Quand les porte-graines sont secs ou presque secs, ne pas hésiter à les récolter s’il y a un risque d’orage. Si toutes les graines ne sont pas complètement mûres, les mettre à finir de sécher dans un hangar, un grenier, ou autre. Une fois que tout est bien sec, les battre pour extraire les graines, puis les passer au tamis pour les nettoyer. On passe d’abord dans tamis un peu plus gros que la graine pour éliminer les gros déchets, puis un tamis plus petit que la graine pour éliminer les petits déchets.

Certaines semences doivent être lavées (aubergines, tomates) et séchées rapidement ensuite. Préférer un tissu plutôt que du papier pour les mettre à sécher. Les graines collent sur le papier. Une fois qu’elles sont bien sèches procéder comme précédemment avec les tamis.

Une fois que les semences sont à peu prêt propres, il est impératif de faire un test de germination sur dix graines ou plus. Ca évite les mauvaises surprises au moment des semis. Vous pouvez ensuite les mettre au congélateur pendant une dizaine de jours pour après les stocker dans des poches en papier en cave, ou équivalent, à l’abri de la chaleur, de la lumière, de l’humidité et des rongeurs.

Je pense qu’il est très important de se regrouper (entre voisins, amis) pour produire les semences. Ca permet de produire diverses variétés qui peuvent se croiser entre elles. Ca peut permettre de se retrouver pour échanger les différentes expériences et d’avoir des moments de convivialité. Ce qui n’est vraiment pas négligeable.

Conservation des semences

Une fois que les semences sont triées et nettoyées, les sachets en papier sont les emballages les plus pratiques pour les stocker. Les bocaux en verre sont parfois utilisés, mais il faut que les semences soient vraiment très sèches pour qu’elles ne moisissent pas dans le bocal. Si les semences ne sont pas suffisamment sèches, on peut ne pas s’en rendre compte, et elles risquent de perdre leur faculté germinative. De plus, ça prend beaucoup de place.

Il est indispensable de passer les graines de pois, haricots, fèves, et autres légumineuses au congélateur pendant une dizaine de jours pour tuer les parasites éventuels (bruches). Si dans l’avenir, il n’y a plus d’électricité pour les congélateurs, il faut récolter les légumineuses le plus tôt possible, afin de les écosser et de les stocker très vite dans une poche en papier et dans un endroit au frais, à l’abri de l’humidité, de la lumière et des rongeurs.

J’ai pris l’habitude de passer tous les lots de semences au congélateur pendant dix jours. Ca élimine des petits parasites éventuels et ça n’altère pas la qualité germinative.

Après congélateur, comme les légumineuses, les stocker dans une cave ou un cellier à l’abri de la chaleur, de l’humidité, de la lumière et des rongeurs. Dans une boîte métallique, c’est très bien. Ce n’est pas totalement étanche, donc ça respire, et les rongeurs ne peuvent pas y toucher.

Sur les sachets, bien préciser la variété et l’année de récolte. Toutes les semences n’ont pas la même durée de conservation (panais : un ou deux ans, tomates : cinq ans, oignons et poireaux : deux à trois ans, …).

Tant que la situation est à peu près normale, penser à faire des tests de germination des semences des années précédentes, avant de faire sa commande de graines (en général en début d’année). C’est toujours désagréable de se rendre compte qu’un lot ne germe pas en avril ou en mai…

Bonne chance et bon courage pour la suite.

Sophie

 

Autonomie alimentaire

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