A quoi se préparer pour le chaos : Témoignage et Vécu
- Le 28/06/2023
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Chers tous,
Grâce à l'un d'entre vous (Merci Alexandre :) ), j'ai pu faire la connaissance de Corinne.
Corinne, à peu près le même âge que moi (et non, on est pas des vieilles :) ), une personne tout à fait normale, un mari, une fille, un chien, un boulot .... Corinne a vécu l'enfer. Elle s'en est sortie, mais aujourd'hui encore ses yeux traduisent l'émotion, le vécu. Aujourd'hui encore il lui faut se soigner pour effacer les traces d'un traumatisme inimaginable pour la plupart des gens normaux. Nous ne sommes pas préparés à ça.
Un "ça" qui peut nous arriver demain, et qui se rapproche de jour en jour.
Quelle en sera la cause ou les causes ? Il peut y en avoir plusieurs. Ici ce fut un cyclone de force 6, le tout premier a être enregistré. Mais une guerre ou un chaos sociétal auraient quasi les mêmes effets. Vous allez le découvrir. J'ai eu parfois le gout des larmes dans la gorge en écoutant Corinne.
Corinne aujourd'hui n'est plus une personne "normale", c'est une personne "prévenue". A ce titre bien des choses ont changé dans sa vie de tous les jours..... C'est aussi pour ça qu'elle veut bien nous raconter, pour que nous soyons prévenus. Vous allez découvrir l'art et la manière de tout perdre en quelques heures et surtout comment réagissent les autorités, les voisins, etc.... La plupart d'entre vous s'y attendent et certains se disent peut-être "facile, faut prévoir ci ou ça" .... Je ne sais pas .....
Rien, dans ce que je vais vous écrire, n'est fictif, ou exagéré.
L'histoire d'Irma à Saint-Martin aux Antilles
Corinne a emménagé sur l'Ile de Saint Martin (Antilles) en 2010, une belle histoire économique, familiale et professionnelle avec la création d'une agence pour le commerce immobilier autour du tourisme, des métropolitains, ou des Américains. Les affaires marchent bien, Corinne est une bosseuse et son mari est également très actif. Après 7 ans d'investissement professionnel intensif, Corinne et son homme décident de revenir en métropole pour rejoindre leur fille. Ils vont vendre la maison, l'agence et rentrer chez eux ! Dans le Var, ils ont une maison qui les attend, il ne restera qu'à faire voyager leurs affaires dans un container et le chien avec eux en avion. Le chien est un membre de la famille et la suivra de bout en bout dans ce périple.
Le Paradis, une belle villa dans un site gardé et protégé.
Ils prennent donc des billets de retour pour la fin du mois de Septembre, via Air France. Jusque là, il n'y a pas la moindre raison pour que quoi que ce soit tourne mal. Ils habitent dans une zone gardée et surveillée des locaux et des rapines, la climatisation rend les maisons très agréables et le confort est maximum. Il suffit de revendre la très belle maison et l'agence, et de rentrer.
C'est sans compter sur la brutalité de ce qui va suivre. Et l'absence évidente des autorités le jour J.
Sinon, nous sommes en zone tropicale, hygrométrie maximum, chaleur torride, natifs locaux pauvres et décidés à se débrouiller, haïtiens parfois difficiles à gérer, gendarmerie locale plutôt impuissante à tout gérer, et qui conseille d'enterrer ses problèmes (avec leurs créateurs) dans la mangrove locale. Nous sommes également sur une ile, un lieu clos en quelque sorte. Il s'agit donc bien d'un paradis, mais doté de quelques points noirs (comme tous les paradis terrestres).
Voilà l'histoire de Irma et de Saint-Martin, telle qu'elle est décrite sur wikipédia :
Le 5 septembre 2017, Irma (500 km de diamètre, vents de 279 km/h), sa superficie est estimée à 335 000 km2 environ, recouvrant la quasi-totalité de la France métropolitaine s'il y était, est désormais classé en catégorie 5 — le niveau le plus élevé sur l'échelle de Saffir-Simpson. Il s'approche des îles Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui sont placées en alerte violette — le niveau le plus élevé. Les météorologues l'annoncent comme particulièrement puissant — considéré comme un « supercyclone [...] dévastateur [...] car lent10 » — Le 6 septembre, l'œil du cyclone, d’environ 50 km de diamètre, entraînant des vagues de 6 à 8 mètres de haut, touche vers 2 heures du matin le nord des Petites Antilles et passe directement sur Antigua-et-Barbuda — frappant principalement l'île de Barbuda11 — puis se dirige successivement vers les îles Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Christophe-et-Niévès, Anguilla et les îles Vierges britanniques, qu'il dévaste12.
Dans les faits, il fut reclassé de force 6 et constitua la première alerte violette. Dites vous aussi qu'avec des vents à 279 (et des pointes a 450), on ne bouge plus de son trou. On prie.
Maintenant je vais vous raconter le reste :
Nous sommes à quelques jours du départ définitif de Corinne et de son mari. Ils ont leurs billets et leurs affaires sont pliées en container.
Le 5 Septembre, alors que toute la France Métropolitaine est prévenue d'un phénomène ultra violent, les locaux sont avertis d'une tempête tropicale (nprmale). Il s'agit de quelque chose de banal et on se prépare comme à l'accoutumé. Rien ne leur est réellement dit quant à la force de dévastation de ce qui approche. Rien n'est prévu, et aucun secours n'arrivera avant un bon moment. Notez bien ce point : lorsque les gouvernants ne sont pas décidés, ils ne vous préviennent pas non plus. Inutile de vous faire peur en plus .....
Corinne et son mari savent que leur villa (en bord de mer) ne constituent pas un abri correct, ils migrent donc, avec leur chienne, chez la mère d'une relation pour quelques heures (pensent-ils). La femme en question a plus de 70 ans et habite dans un studio de 30 m² très modeste, mais sécure. Une autre jeune femme arrive au dernier moment et nous avons, si j'ai bien compris 5 adultes, 1 chienne, et 2 chats, entassés comme ils peuvent, le temps de laisser passer la tempête.
Les hommes bouclent les issues (fenêtres, car le vent peut porter des objets et tout démolir) contre l'eau, et les chocs. Tout le monde sait faire, car le truc est plutôt habituel.
La nuit du 5 au 6 est un enfer. Le bruit est terrifiant, progressivement tout tombe en panne : eau courante, électricité, téléphone, donc également climatisation et wc. Pour tenter de se reposer, on se couche sur des nattes en priant. La femme âgée fond les plombs et se met à faire son pipi popo sans trop de précautions, les animaux devront attendre l'oeil du cyclone pour sortir. On mange les quelques réserves présentes et on attend que ça cesse pour mettre le nez dehors.
Lorsqu'enfin il est possible de sortir, c'est pour assister à la vision dystopique que l'on nous a resservi en France au journal de 20h, sans imaginer un instant les souffrances vécues localement.
Le 6 Septembre, l'ile ressemble à ça :
Les destructions sont majeures. Et je rappelle qu'on a plus aucun moyen de quoi que ce soit :
- Pas d'eau courante potable
- Pas d'électricité
- Plus aucun téléphone (les relais sont morts)
Les locaux se sont empressés de commencer à piller les magasins. Ca se vide donc très vite et dangereusement. Corinne et son mari aimeraient bien, comme tout le monde, faire des courses alimentaires, mais il n'y a plus de fonctionnement de CB, plus de distributeur, plus grand chose en fait. Dans les rayons qui se vident, les gens se battent, certains pour manger, d'autres pour revendre. Les commerçants ont renoncé à vendre : libre service si on y arrive ... Chacun prend les boites de conserve qu'il peut et tente de les garder. On se marche dessus. Puis on retourne dans son quartier pour tenter de manger ensemble, des boites froides.
Au tout début on continue aussi de manger grâce aux congélateurs foutus et qu'il faut vider, C'est une première réserve, mais elle s'épuise vite.
Très vite aussi les tensions montent. Les secours n'arrivent pas. Les évacuations non plus. Quelques avions évacuent en priorité, mais ce sont les gendarmes qui y placent d'abord leurs familles. Les autres habitants n'y ont pas accès. Très vite, lorsque les premiers avions cargo arrivent tardivement, l'autorité ressemble surtout à la loi martiale : couvre feu, avions et stocks gardés par des militaires armés jusqu'aux dents. Les locaux ne reculent devant rien pour tenter de piller, puis revendre, tout ce qui se peut. Ils n'avaient rien, ce ne sont donc pas les plus surpris, mais les plus réactifs.
Les jours passent dans un stress innomable et des tensions de plus en plus violentes. Il faut envisager de partir, mais les avions ne prennent pas les animaux et chaque passager n'a le droit qu'à un sac à dos en tout et pour tout. Partout il faudrait tout pouvoir garder, à cause des risques (majeurs) de délinquance.
La rumeur parle d'amélioration des conditions. Corinne se démène dans tous les sens et entend dire que le transport des chiens va être possible lors du prochain départ. Grosse galère pour trouver une caisse de voyage, elle part faire les refuges fracassés et rampe dans la boue pour trouver une caisse usagée, mais suffisante. Ca va le faire ! Départ pour le lieu d'embarquement, mais il faut trouver de l'essence. Pas facile, c'est rationné : 20 dollars/euros ..... Puis retour à la Villa pour sauver 2 valises de l'essentiel, les papiers importants, les trucs vraiment nécessaires. Et la famille au complet repart en voiture, en tentant de passer au travers des débris qui bouchent presque tous les passages. Rouler est donc, au bas mot, très compliqué, entre la pénurie de carburant et les routes impraticables. A l'arrivée, on croise la voiture officielle du commandant de bord qui arrive. Il voit la petite famille et recadre : Non, aucun chien n'a le droit de voyager.
Corinne étudie une autre solution et on lui parle d'un passeur en bateau pour l'ile voisine dont on peut prendre l'avion normalement (avec son chien) et comme avant. On y va, à nouveau chercher de l'essence, et à nouveau espérer. Le tout en continuant de consommer des boites de conserve. Il faut payer le passeur en bateau : 500 euros par personne. Le passeur lui, il passe sa journée à faire des allers-retours pour remplir des jerricanes d'essence afin de remplir les réservoirs du bateau. Un grand cigare rapide et fortement motorisé. (j'ai oublié de demander à Corinne comment les passagers avaient fait pour se procurer des ronds, mais si elle le souhaite, elle le précisera dans le forum)
L'histoire ne dit pas comment tout le monde s'est débrouillé, mais ça le fait. Embarquement à 6 heures du matin.
Jusqu'ici, vous avez vu que la première nécessité est simple :
- Manger
- Boire
- Pipi popo
- Sauver sa peau
Puis juste derrière
- Prévenir ses enfants
- Se barrer
Pourtant, entre le fameux 5 Septembre et le jour du départ, il se sera écoulé 15 jours. Presque tout ayant été soit anéanti, soit pillé, ceux qui n'étaient pas à l'abri des eaux et/ou des pillards ont quasi tout perdu : stocks de médocs etc...., mais aussi papiers, argent, moyens. Pas de carburant pour partir, ou peu, routes impraticables, l'endroit est en train de devenir une horrible prison.
Sur le trajet Corinne rencontre, entre une mission essence et une mission bouffe, une journaliste de métropole avec un téléphone satelittaire. Négociations, larmes, la journaliste émue, finit par lui prêter son téléphone 2 minutes, le temps de dire aux enfants qu'on est bien en vie. Mais tout le monde n'aura pas cette chance.
6 heures du matin, date oubliée, on quitte enfin l'ile de Saint Martin. Très vite le second cyclone, moins violent, montre le bout de son nez, le bateau doit aller vite pour ne pas se faire submerger, il monte et redescend en tapant violament. Les passagers souffrent et se protègent comme ils peuvent des trombes d'eau qui leurs tombent sur la tête. Les chocs sont douloureux. C'est une première étape de 5 heures d'intenses souffrances. L'orage est de plus en plus violent et il va falloir envisager de faire étape dans un port. Le seul port à proximité est sur une île Anglaise. Ouille ! : Papiers ...... Les valises de papiers essentiels ont quasi explosé dans le voyage, tout est trempé, même si l'essentiel de l'essentiel est dans les poches et nulle part ailleurs.
On débarque en territoire étranger : donc on ne débarque pas ! Le gardien local est sympa, et compatit pour les passagers trempés et épuisés. Il leur autorise une sorte de local wc qui pue l'urine à plein naseaux. Corinne reste, son mari craque, il va dehors respirer. Ils ont faim. Le vigile, toujours compatissant, se charge de leur trouver de la nourriture, des snacks. Puis vient vite les prévenir : la douane arrive, il faut retourner au bateau. Ce que tout le monde fait. Avant de répondre aux douaniers, visiblement non dupes, qu'on n'avait pas quitté le bateau.
Le passeur a refait le plein, et c'est reparti pour 5 heures de route et de bateau qui frappe la mer et tambourine en raisonnant dans les tripes des passagers. A l'arrivée Corinne tente de sécher les papiers. Puis de se rendre à l'aéroport avec les précieux billets achetés bien avant le jour du 5. Plus valable répond l'hotesse, il faut à nouveau payer. On vous remboursera plus tard ajoute-t-elle. Plus tard quand ?
Corinne et son mari avaient une entreprise et étaient assurés. Ils mettront 2 ans à récuperer les fonds. Bien plus pour la santé.
A l'arrivée, ils ont bien une maison, mais vide. La fille de Corinne tente de réaménager ses parents et prend sur son temps de travail. Moins disponible, elle perd toutes ses primes et se prend un flot de reproches. Merci l'humanité !
Le temps passe et il se trouve une opportunité de vendre et d'aller se mettre à l'abri pour de bon. Corinne a choisi l'altitude, 1200 mètres. Pas de voisins, Et plusieurs chiens, entre autres moyens de se protéger, elle et sa famille animaux qui s'est étendue :) !
Plusieurs années se sont écoulées. Mais le ressenti, l'émotion, sont intacts. L'eau, quel drôle d'élément : trop elle fait mourir, trop peu c'est impossible. La confiance en ce système, sensé nous protéger, est éteinte. Corinne et son mari ont également une serre et font du potager, ils savent à quoi s'en tenir.
Nous terminons l'entretien sur l'analyse des voyances célèbres d'un collègue dont j'ai perdu le nom (mais si vous pouvez nous l'écrire dans le forume, Merciiiii Corinne) : catastrophes, inondations submersions ..... Merci Corinne, grâce à vous nous comprendrons sans doute mieux le chaos. Et comment, si possible, on doit l'anticiper.
Cette horrible aventure a duré un peu plus de 2 semaines, peut-être 3 de bout en bout. Je n'ai pas pensé à demander les pertes de poids et le reste.
Elle aurait pu arriver à n'importe qui d'entre nous.
En conclusion
Lorsqu'ils savent que le ciel va nous tomber sur la tête, ils ne peuvent pas nous prévenir. Nous ne serons donc pas prévenus. Les délinquants santeront sur l'occasion de profiter d'un état de non-droit. Puis Nous passerons sans doute de la normalité douillette et de son flot de projets, à une situation de crise invivable et pour laquelle 99% des gens ne sont pas préparés. Et ce sera l'enfer ! La faim, la soif, la promiscuité, les odeurs, la merde et la pisse. Puis la douleur aussi, et l'inconfort, le chaud, le froid, le mouillé. Tout en extrême.
Merci Corinne. Grâce à ce récit, certains feront passer le message à d'autres. Et la conscience grandira. Même si ce n'est que d'un tout petit pourcentage.
Nous savons qu'il faut prévoir la crise, anticiper les besoins et savoir s'auto secourir. Il n'y aura pas de gentil militaire US pour distribuer du chocolot.
Là c'était Irma, mais n'importe quelle guerre provoquerait une crise similaire. Se terminant en sauve qui peut. Hier un barbecue dans le jardin, demain une bombe, un objet tombé du ciel etc.... et tout ce qui était évident disparait.
Merci Corinne, vous m'avez aussi fait grandir - en humilité -
Je sais que la préparation d'un sac spécifique et d'un petit stock, ce n'est pas du flan
Je sais que lorsque les gens ont peur ou manquent, ils deviennent fous, mais je n'imaginais pas vraiment les choses
Corinne, je vous embrasse bien fort (Corinne faisait des crêpes pendant notre entretien, résultat, j'ai crevé la dalle pendant des heures :) ), je vais ouvrir un sujet sur lequel tout le monde, y compris vous pourra commenter et poser éventuellement des questions.
Biz à tous
Elizabeth
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