Paix sur le Monde - paru en Septembre 2020

  • Le 24/05/2025
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Chers Tous,

Cette nouvelle est parue sur le site de Pierre Templar, survivre au chaos

https://survivreauchaos.blogspot.com/2020/09/paix-sur-le-monde.html

Comme dans beaucoup de mes écrits, elle correspond à ce que je ressens arriver, profondément. 

Jean-Pierre s’assit dans le fond de son fauteuil et serra la main de son petit-fils Mario, âgé de 15 ans.

- Ca va mon petit Mario, alors quels sont tes projets, les filles, les voyages ?

- Papy, tu pourrais te taper déjà au moins 3 procès-verbaux pour de tels propos !

- Ah oui, lesquels ?

- Et bien « Indiscrétion », 135 terras, « sexisme », encore 135 terras, mais sans doute 200 terras parce que c’est une récidive de la loi sur l’auto-contrôle et la liberté d’expression et la troisième fois...

- Je sais mon petit Mario, je sais ! Répondit Jean-Pierre en souriant, mais tu ne vas pas dénoncer ton grand-père préféré non ?

- Papy tu me fais rire ! Ce n’est pas de moi dont il s’agit ! Tu fais de moins en moins attention, c’est carrément grave tu sais !

Jean-Pierre se leva et prit sa canne, il souffrait d’arthrose et son statut de citoyen ne lui permettait pas d’accéder à la chirurgie réparatrice. Il s’était passé pas mal de temps depuis le scandale sanitaire des années 20 ; le monde avait gagné la guérison de haute lutte, mais qu’était-il devenu ? Agé de 70 ans, il avait fait partie de la génération des gilets jaunes, il avait connu « je suis Charlie » et même levé le point pour le mariage homosexuel. Il rangea ses chemises, ouvra un vieux dossier planqué sous son matelas et caressa doucement la couverture de son très vieux Charlie Hebdo, celui d’origine, édité à la suite de l’attentat : une pièce de musée. Puis il répondit à sa femme, Anna, qui l’appelait de la cuisine.

- A table ! A table tout le monde, si vous le voulez bien – Jean-Pierre tu vas adorer, je t’ai fait des frites véritables avec du ketchup maison.

- Mais ça a dû te coûter une fortune ? Tu as obtenu une dérogation ?

- Oui bien entendu, c’est que nous avons un évènement à fêter.

- Tu veux dire à accepter.

- Je t’en prie Jean-Pierre, pas de débat, je t’en supplie, ne gâche pas ces instants.

- Les derniers !

- Tais-toi, je t’en prie tais-toi.

- Dans une heure 30 exactement, 2 hommes en blanc vont venir me chercher, m’emmener dans une voiture confortable, et, comme tous ceux que j’ai connus, mes amis, mes amours, mes parents, je vais disparaître de la surface de la planète – et tu veux que je me taise ? Tu es encore jeune, tu ne sais pas ce que c’est que de compter les minutes qu’il te reste avant d’être éliminé comme un déchet.

Nous avons eu cette conversation 10 fois Jean-Pierre ! Dont 1 fois en public et j’ai été convoquée, perdu 15 crédits citoyens, payé 3750 terras, et Mario s’est vu refuser son crédit d’études à Berlin. Tu veux m’emmener dans la mort ? C’est ça ? Tu veux revenir à ton putain d’ancien temps ? Celui du chômage, de l’injustice, de la pauvreté ? De la surpopulation et de la pollution ?

- Non Anna, mais je suis né libre, et même libre d’être pauvre. Je vais mourir comme un chien qu’on euthanasie parce qu’il n’est plus bon à monter la garde.

- Un chien de garde ! Et bien là tu dérailles mon pauvre ! Comme s'il fallait garder quoi que ce soit !

- Ah j’oubliais : tu n’as pas vraiment connu ça : l’insécurité !

- Non je n’ai pas connu et ça ne me manque pas.

- Moi Papy, je voudrais que tu passes cette dernière heure à me raconter ça : je veux dire tout ça ! De toute façon ils ne pourront pas te faire payer, vu que tu vas être mort !

- Mon petit Mario, tu sais que tous mes propos vont être enregistrés via le Flux. C’est toi qui va payer l’addition, peut-être perdre ton statut de futur Citoyen du Monde.

- Non Papy, nous avons le droit de t’écouter dire tout ce que tu veux pendant tes derniers moments avec nous, cela est considéré comme une perte de la raison dû à un excès émotionnel.

- D’accord Mario, assis-toi, je vais vous raconter.

- Dans le temps, on vieillissait jusqu’au bout, parfois très vieux, parfois très mal, et même qu’on ne savait pas trop quoi faire de vous quand la tête lâchait. Mais l’on partait la tête pleine de souvenirs.

- C’est quoi cette histoire de souvenirs exactement ?

- Tu sais, une fois par an, tu passes en revue ta vie via le lecteur du Flux et toutes les pensées ou moments inadéquats sont éliminés de ta mémoire : c’est ça les souvenirs.

- Tu veux dire que si tu as vécu un truc pas...

- Oui dis le : un truc désagréable !

- Oui, c’est ça ! Alors avant tu le gardais toute ta vie en mémoire ?

- Oui, mais c’est aussi ça qui faisait que tu t’améliorais avec le temps, tu apprenais plein de choses, à la fin de ta vie, tu étais devenu un « homme d’expérience ».

- Oui, mais le Flux fait ça très bien !

- Le Flux est le produit de l’Intelligence Artificielle, et si le Flux s’arrêtait, vous vous apercevriez que la vie n’est pas ce que l’on vous fait croire : un long paradis qui se termine quand on le décide pour vous. La vie, c’est une suite d’expériences de toutes natures et que vous avez parfois choisies, parfois subies, mais qui vous ont toujours rendus plus fort !

Mario caressa la main de son grand-père.

- Dans le temps, on pouvait s’engueuler avec son Voisin.

- Tu veux dire crier et dire des choses sales ?

- Oui Mario ! Intervint Anna : dire des choses immondes et se faire des procès, voire se battre : voilà ce que Jean-Pierre regrette et c’est bien pour ça que cette génération a été détruite.

- Attention Anna, tu vas perdre ton statut de citoyen idéal si tu continues ! Murmura Jean-Pierre à voix si basse que Mario dut tendre l’oreille pour comprendre.

- Ne te fais pas de soucis : moi aussi j’ai le droit à la surcharge émotionnelle pour ces dernières 90 minutes – espèce de...

- De quoi ?

- Je ne sais pas, mais j’ai du me taper un vieux con de 40 ans de plus que moi et faire à bouffer à son petit-fils, pour payer mon statut, alors pour une fois, j’aurais eu envie que tu bouffes tes cochonneries de frites pleines de gras et que tu t’étouffes avec.

- Oh mais je vois que pour quelqu’un du nouveau Monde, tu maîtrises un sacré vocabulaire, je te découvre enfin Anna.

- Tu crois quoi ? Que j’ai du plaisir à tenter de te rendre heureux parce que tu as le droit légal à une épouse de ton choix en tant que vainqueur de la grande guerre ?

- Je pensais que ça avait un sens pour toi aussi. Après tout, ce monde te plait et si ce monde existe, c’est un peu grâce à moi.

- Non, c’est à cause de gens comme toi que la moitié des anciennes Amériques sont contaminées par le Covid-22 : parce que vous avez refusé les règles !

- Non Anna ! Reprit tristement Jean-Pierre - C’est à cause de gens comme toi, qui croyez naïvement tout ce que l’on vous raconte, que les anciens avaient créé le SRAS de quatrième génération. Ils savaient qu’avec des imbéciles, la peur suffirait à résoudre tous leurs problèmes : pollution, surpopulation, délinquance... Ils nous ont infectés, enfermés, exterminés, et pour finir ils ont pris nos enfants, les ont dressés contre nous dans des centres spéciaux, puis ont déclaré la grande guerre pour achever les survivants !

- Arrête de raconter n’importe quoi ! Vous étiez agressifs, incapables de suivre des règles, incapables de travailler pour vos proches, vous étiez méchants les uns envers les autres, vous aviez même des maladies transmises par le sexe tellement vous étiez dégoutants.

- Tu ne me trouvais pas dégoutant lorsque tu as troqué notre mariage contre ton statut de femme de vétéran avec la mention citoyen idéal qui te donne le droit à autant de chirurgie esthétique que tu le souhaites, ainsi que l’accès aux magasins de luxe : qui font des frites...

- Ces trucs gras, immondes, qui te font un gros ventre avec de la peau flasque.

- Je te découvre enfin Anna – tu me fais peine.

Mario ne dit rien. Il songea que lui il adorait les frites. Mais le dire eut été risqué. Le passé était un sujet tabou.

- Je vous en prie, c’est un moment sacré, parle-moi du passé Grand-Père.

- Ta grand-mère était formidable ! C’était une femme hors du temps, elle voulait l’égalité sociale, elle avait milité pour le droit à l’homosexualité et l’avortement.

- Mais pourtant, ces trucs-là, c’est quand même pas chouette ?

- Non ? Pourquoi ? Tu sais, dans le temps, avoir un enfant était un choix, c’était comme on voulait. Lorsque ta mère est née, nous étions fous de joie. C’était juste avant que l’on passe la loi sur la limitation démographique et la stérilisation vaccinale. Puis il y a eu ton oncle, Lilian, il était homosexuel, mais heureux et ne faisait de mal à personne, il aimait la nature, les animaux, la pêche.

- De quoi il est mort Oncle Lilian ?

- Oncle Lilian est mort après la première campagne vaccinale. Ses défenses immunitaires se sont emballées, elles ont attaqué son propre système nerveux. Il s’est progressivement paralysé, puis asphyxié.

- Mais si vous étiez heureux d’avoir des enfants, pourquoi vouliez-vous l’avortement ?

- Parce que à l’époque la stérilisation n’était pas maîtrisée et la contraception pas toujours fiable. Il y avait des enfants non désirés ou que l’on ne pouvait pas élever. Puis il y avait les victimes de viols.

- C’est horrible ! C’est mieux maintenant non ?

- Je ne sais pas Mario – je ne sais pas, mais maintenant tu ne serais pas né.

- Pourquoi ?

- Parce qu’il y a 12 ans que nous sommes en politique de maintien démographique et qu’après la naissance de ton frère aîné ta mère aurait été stérilisée.

- Mais je l’aime mon frère moi. Même si ce n’est pas une raison pour surpeupler la planète.

- Oh Mario, ce n’est pas la surpopulation qui a failli tuer la terre, c’est la surconsommation. Nous avons brûlé la bougie par les 2 bouts.

- Ah ! Commenta Anna – Tu reconnais vos torts !

- Bien entendu, il ne s’agit pas de dire que notre monde était idéal. Ils ont réglé le problème de la surconsommation par la diminution démographique. Fin de l’histoire !

- Papy, c’est quoi un Viol ?

- Pas de ça Mario ! Tu vas nous faire avoir des ennuis !

- Je m’en moque tante Anna, je veux comprendre !

- Un viol, c’est quand un être humain utilise sexuellement un autre être humain sans son consentement. C’est un crime.

- Il n’y a plus de crime maintenant.

- Si Mario, il y a d’autres sortes de crimes. Les cerveaux dont les connections neuronales ne peuvent être conduites par le flux sont repérés et éliminés. C’est aussi un crime.

- Tante Anna, c’est pour ça que Kevin a disparu ?

- Ne dis pas n’importe quoi Mario, Kevin était mentalement déficient, il a été pris en charge par l’état.

- Non Anna ! Tu peux raconter des blagues à Mario, mais moi je ne vais pas lui mentir. Kevin, ton cousin en quelque sorte, était un esprit rêveur et indépendant. Lorsque le Flux envoyait les injonctions au sommeil – à 22h30 – il pouvait continuer à lire et sortait parfois rencontrer des amis dans le même cas que lui. Cette anomalie génétique a été repérée, puis éradiquée. Ils sont venus le chercher, comme ils vont venir pour moi, puis il a disparu.

- Tu veux dire qu’il pouvait être triste, gai, en colère, sympa, pas sympa et tout ce que j’ai lu dans tes livres ?

Jean-Pierre sourit. Mario était un enfant peu ordinaire. Il avait si souvent laissé traîné des livres interdits pour lui offrir une chance de s’informer.

- Papy, raconte-moi comment s’est passée la transition ?

- Oh, je vais essayer de faire court, il ne me reste que 30 minutes avec vous. En l’an 2020, il y avait encore des pays indépendants lorsqu’éclata la grande crise sanitaire avec le covid-19. Le monde subit ce qu’on appela un confinement, 4 milliards d’êtres humains.

- 4 milliards ? Mais nous ne sommes que 1 milliard ?

- A l’époque nous étions plus de 7 milliards.

- Ça devait être super serré ?

- Non Mario – pas tant que ça. Mais certains mangeaient pour les 6 autres. Je te disais donc que je vivais en France, dans ce qu’on appelait une République Démocratique. Le peuple élisait ses dirigeants qui étaient censés faire ce qu’il y a de mieux pour nous. Suite à la crise, et à l’enfermement des humains, une grande révolte éclata, révolte qui ne se calma que lorsqu’apparut le Covid-21, troisième génération d’un virus de plus en plus vicieux, bien que finalement les gens en bonne santé semblaient immunisés naturellement. Les dirigeants mirent au point un vaccin, mais qui fut refusé par la majeure partie de la population. Ce fut ce qu’on appela la grande fuite – après la grande révolte qui elle-même succédait à la grande crise. Grande crise parce que l’économie n’avait pas survécu à 1 siècle de vie à crédit et de surconsommation illusoire. Les gens courraient partout, c’était un chaos innommable ! Brusquement, ils changèrent d’avis et une grande majorité accepta le vaccin, fin 2021. C’est là que ton Oncle Lilian est mort. Lui et beaucoup d’autres.

- Oui mais tu oublies de dire que la majorité fut sauvée ! Commenta Anna.

- Sauvée de quoi ? Une fois la population vaccinée, le problème économique n’était pas résolu. C’est là qu’éclata la grande guerre entre les différentes grandes forces mondiales. C’était sans doute le seul moyen, pour chacun, de tirer la couverture à soi : pétrole, monnaie, médicaments, ressources alimentaires... C’est à ce moment, nous étions en 2023, qu’un nouveau virus fit son apparition. Celui-là par contre, il était affreux.

- Celui dont on nous a parlé au Centre ?

« Oui le Sras de quatrième génération. Le premier cas apparut à New-york, en pleine  guerre ! Une guerre décentralisée en Afrique pour ne pas endommager le tissu industriel occidental. Le premier jour les gens toussaient, puis vomissaient en régurgitant le moindre repas. Une toux inextinguible ! Au bout de 3 jours, les innombrables régurgitations finissaient par infecter les poumons, surtout lorsque les gens étaient couchés et ne s’en rendaient pas compte. Il y avait ceux qui mourraient étouffés, ou de fatigue, d’arrêt cardiaque… C’était une hécatombe : rien ne semblait pouvoir les faire arrêter de tousser. Au début, on les plaçait en coma artificiel : au moins ils ne toussaient plus. Certains conjoints de malades craquaient... Ils les tuaient à force de ne plus pouvoir entendre cette toux sèche, rauque, qui déchirait la moindre conversation. En 6 mois, le monde complet fut infecté.

Très vite la guerre s’arrêta, les soldats rentrèrent chez eux et se retrouvèrent infectés aussi. Les Etats-Unis, qui étaient alors la première force militaire mondiale subirent même la fameuse mutation virale qui est à l’origine de leur destruction. »

- Celle pour laquelle on a transformé la zone en parc naturel ?

- Oui Mario, celle-là même. Les 10% de survivants se sont peut-être redéveloppés, mais ils sont enfermés dans un vaste territoire où ils sont sans doute un peu contrôlés. Pour le reste du monde, un nouveau vaccin permit de guérir encore 90% des survivants, tout en tuant ceux qui ne le supportaient pas. Le  « rapport bénéfice-risque » disaient les grands laboratoires. C’est là que les grandes puissances fondèrent Terra, le nouveau gouvernement centralisé et sa nouvelle monnaie basée sur la Consommation Légitime Nécessaire : la fameuse CLN octroyée à tous les citoyens du monde.

- Puis on créa un règlement mondial, une justice mondiale, le tout géré par Intelligence Artificielle afin que plus personne ne prenne de décision imbécile. Les enfants étaient éduqués dans des centres où le confort et la sécurité leurs étaient garantis. Les survivants de la grande guerre – dont je fus – étaient les héros dont le peuple a besoin. C’est ainsi qu’on me donna – tous les 10 ans, une épouse toute neuve pour s’occuper de moi, parce que la mienne était morte. L’état central ne pouvait liquider ses héros, alors il les achetait. Tu te rappelles de Marie ?

- Oh oui ! Fit Mario – mais qu’est-elle devenue ?

- En tant que citoyen modèle, j’avais le droit à une épouse choisie jeune et fraîche. Une fois un peu usagée, elle était envoyée chez un citoyen moins bien noté.

- Mais ça n’a pas eu l’air de la déranger ?

- Nous n’avons pas le choix ! Intervint Anna.

- On a toujours le choix ! Corrigea Jean-Pierre – certaines femmes choisissent de devenir des épouses ayant le titre de citoyen idéal : elles ne choisissent pas leur « Mari », mais ont tout le confort en vivant aux cotés d’un homme aisé et bénéficient de pas mal d’avantages. D’une certaine façon, c’était déjà comme ça avant : les plus jolies jeunes femmes choisissaient de riches et puissants maris qui les gâtaient tant qu’elles étaient belles. C’est ainsi que l’on vit l’un des derniers présidents américains marié à une ex mannequin de 30 ans de moins que lui.

- Mais c’est immonde ! Répondit Mario.

- Non – c’est humain ! Mais tu as le choix de refuser le système, d’épouser quelqu’un par amour, comme je l’ai fait avec ta grand-mère, ou, si tu es une femme, d’avoir ton indépendance matérielle. Là, tu vois, ça n’a pas beaucoup changé.

- Je continue – j’ai beaucoup pleuré ta grand-mère – alors après... Le monde sembla s’arranger, il y avait eu tant de morts qu’il restait bien assez pour s’occuper du reste. Mais le Flux était né et ne voulut jamais rendre le pouvoir à l’être humain. Il décida que la violence était abolie, que les naissances étaient contrôlées, que les vieux devaient mourir avant d’être déficients, que chacun aurait au moins le minimum pour vivre, que les enfants anormaux ou asociaux seraient éliminés comme représentant un danger pour les autres.

- Mais qui dirige le flux ?

- C’est une bonne question Mario ! On dit qu’il y a des créatures au-dessus du Flux. Mais personne ne les a jamais vues. Il y a eu ce qu’on a appelé la communication de cinquième génération, la 5G, puis la 6G, puis le Flux...

- Mais le Flux ne m’empêche pas de penser ! Je suis quand même libre de raisonner et au Centre, nous participons même à l’élaboration citoyenne du devenir !

- Oui, je sais bien, et sais-tu pourquoi ?

- Non Papy !

- Parce que le Flux n’est pas créatif ! En tant qu’Intelligence Artificielle, il ne peut pas créer à partir de rien. Donc on le nourrit avec vos idées. Et toi tu as le droit de penser. Mais seulement si tu vas te coucher à 22h30 lorsque le Flux t’envoie les ondes Bêta.

- Et est-ce que c’est si mauvais que ça ?

- Non Mario, ce monde en vaut un autre. Mais tu n’es plus libre. Et 6 milliards d’êtres humains, dont ta grand-mère, sont morts à ce jour.

- On nous a aussi parlé des guerres de religion, c’est pour ça que parler de Dieu est interdit.

- Oui, chaque portion de l’humanité s’est battue pour établir Son Dieu… C’était idiot, mais certains étaient encore plus idiots que d’autres et s’entretuaient pour prouver que leur Dieu aimait la guerre.

- Alors pourquoi regretter ça ?

- Parce que tu vois, à l’époque on priait... On croyait qu’il existait une force surpra humaine que nous pourrions rejoindre après notre mort et que tout ce que nous vivions n’était qu’une expérience destinée à nous rendre meilleur. Nous avions l’espoir.

- Ca ne vous empêchait pas de faire la guerre pourtant !

- Tu sais Mario, chaque année, 10 % de la population part à l’euthanasie pour faire de la place aux 10% de plus qui sont venus au monde. C’est encore plus de mort qu’à la guerre.

- Mais il n’y a plus de souffrance, on a à manger, on ne se bat plus, on reçoit une instruction !

- Oui toi Mario, tu as tout ça, parce que tu es le petit-fils d’un héros de la grande guerre. Mais d’après toi : qui fabrique ce que tu manges ? Qui nettoie le centre lorsque tu rentres à la maison ? Qui construit les Centres, les maisons, les moyens de transport ?

- Bah les travailleurs !

- Oui et as-tu déjà vu les travailleurs ?

- Non, ils sont dans la zone de production, je n’y ai pas accès.

- Demande donc à Anna...

Anna se tortilla les mains et rangea les restes du plat de frite, ainsi que le précieux pot de ketchup.

- Pourquoi veux-tu parler de cela ?

- C’est tout de même un monde que tu connais bien ma chère ! Mario, ta belle-mère est née chez les travailleurs. Sa grande beauté lui a valu une « promotion sociale » et de devenir l’épouse d’un héros. Soit de coucher avec un vieillard qui assurait sa survie en échange de soins jusqu’au moment béni où il débarrasserait le plancher ! Aujourd’hui ! Enfin !

- Anna, s’il te plait, il faut que je sache, je peux sans doute un peu faire quelque chose grâce à nos réunions d’élaboration ?

- Tu sais, ce n’est pas si difficile que ça : notre vie entière est gérée par le flux, nos émotions, nos pensées structurelles, notre santé. Nous n’éprouvons ni fatigue, ni lassitude. Nous recevons de bons soins et lorsque nous vieillissons, nous sommes affectés à des tâches adaptées.

- Tu n’as jamais pensé librement ?

- Oh si, jusqu’à l’âge de 12 ans. A l’âge de 12 ans, ton injection neuronale est activée automatiquement en fonction de ton taux d’œstrogènes. Et la question ne se pose plus. Tu te réveilles un jour, sans angoisse. Et tu sais ce que tu as à faire. D’ailleurs, si j’ai bien lu mes cours d’histoire, avant, ce n’était pas mieux lorsque les femmes travaillaient dans les usines.

- Non, ce n’était pas toujours mieux – pas toujours. Mais lorsqu’elles en avaient mare, elles pouvaient, avec un peu de courage, choisir de vivre autrement. Et Anna ne te raconte pas – Mario – ce que deviennent les anciens travailleurs.

- Tu veux dire qu’ils ne partent pas sur des tâches adaptées ?

- Oh si, mais il y a toujours un moment où la médecine ne va plus se rentabiliser par la remise en état du travailleur.

- Tu veux dire qu’il est euthanasié ?

- Oui Mario, comme moi bientôt, dans 10 minutes. Te demandes-tu, Mario, pourquoi tu ne pleures pas alors que tu sais que ton grand-père va mourir ?

- Parce que c’est comme ça. Et il paraît que c’est mieux que de devenir une sorte de déchet, comme il y avait, avant, dans les sortes d’hôpitaux pour Vieux.

- Ca s’appelait des EHPAD. Mais seuls environ 15 % des très vieilles personnes perdaient leur autonomie et finissaient là-dedans. Les autres 85 % vivaient en paix, en faisant des gâteaux pour leurs petits-enfants ou en cultivant leurs légumes.

- Alors tu préfèrerais vivre plus longtemps ?

- Bien entendu Mario ! Je me sens encore en pleine forme tu sais.

- Mais on va te rendre les honneurs !

- Et alors ? Je m’en moque des honneurs – j’aurais voulu te voir grandir plus longtemps, peut-être avoir un enfant, fonder une famille.

- Et toi Papy ? Tu as peur ?

- Non Mario ! Je ne vais pas manquer de dignité à ce point ! La peur vois-tu, c’est la fin de la liberté de penser. Et lorsque je pense – j’existe.

- Tu veux dire que lorsqu’on ne pense pas, on est juste une machine ?

- Oui, le flux a transformé l’humanité en armée de robots, ne laissant qu’à une petite minorité, le choix de créer ses compléments de programme. Mais viendra le temps où le Flux estimera que vous ne luis servirez plus à rien. Oh, il est 14h00, ils arrivent !

Le bruit familier de la sonnette raisonna dans leur salle à manger. Anna ouvra en souriant aux 2 hommes élégants qui se tenaient sur le bord. Derrière eux, une voiture blindée, toute blanche, pour tenter de chasser l’idée de la mort, était ouverte. On voyait très nettement que la partie passager était séparée de la partie conducteur par une vitre fine.

Jean-Pierre connaissait la suite, il avait hélas fait partie des ingénieurs qui l’avaient mis au point. Les portières se refermeraient sur lui et il partirait en faisant un dernier signe à sa famille. Puis les joints étanches se dilateraient, transformant son habitacle en cocon tout à fait clos. Avant même qu’il ait pu imaginer quoi que ce soit, un gaz incolore, inodore, l’endormirait, puis le tuerait, de telle sorte qu’à l’arrivée, il n’y aurait qu’à descendre un cadavre à envoyer à l’incinération.

Jean-Pierre embrassa Mario, puis Anna, qui versait tout de même quelques larmes en pensant à son avenir à elle et à son statut dans la maison, et il monta en refermant lui-même la portière. Le deuxième homme, qui surveillait l’opération, tandis que le premier surveillait l’entourage, se détourna, tranquillisé par cette conduite en acceptation.

Jean-Pierre sortit calmement un très vieux pistolet de son blouson, il l’arma, puis tira 4 balles d’un calibre de 9 mm.

La première lui permit de ré-ouvrir la portière auto-bloquante.

La seconde et la troisième furent pour les 2 croque-morts qui n’eurent que le temps de jeter un regard interrogateur.

La quatrième fut pour le petit boitier-relai à l’entrée de la maison et qui relayait les ondes ultra courtes du flux.

Puis, il saisit la main de Mario et lui hurla de venir avec lui en l’entraînant dans la voiture. A peine assis, il désengagea la conduite automatique et brisa le point métallique qui marquait l’emplacement de l’antenne de contrôle. Mario se taisait, cela faisait longtemps qu'il lisait les livres de papy et qu’il se doutait bien que tout ne pouvait pas se finir comme ça – que papy, le résistant de la première heure, n’allait pas se laisser tuer comme un robot que l’on met à la retraite.

Ils firent à peine 2 kilomètres et Jean-Pierre se gara dans un bois dense avant d’ordonner à Mario de sortir.

- Viens, on continue autrement.

- Mais Papy, ils vont nous chercher.

- Oui, j’y compte bien, tu dois avaler ça, et moi aussi, c’est un somnifère puissant, nous allons nous cacher dans une vieille cave qui date d’il y a 2 siècles et grâce au somnifère le Flux ne pourra pas accéder à nos données. Des amis vont venir nous chercher. Nous n’avons que 15 minutes avant que le Flux reprenne 100 % le contrôle de la zone.

Le vieil homme et son petit-fils dégagèrent un coin d’orties et de ronces et Jean-Pierre souleva une plaque métallique rouillée

- C’est ici, il y a des lits, dans moins de 3 minutes nous allons dormir.

- Et qui va venir ?

- Des amis. Des survivants de la zone libre.

- Il existe une zone libre ?

Oui Mario, il existera toujours une zone libre.


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21 commentaires:

Elizabeth24 septembre 2020 à 07:18

Et bien Pierre, je ne l'ai pas fait exprès, mais d'une certaine façon, le hasard n'existe pas et voilà : ça tombe aujourd'hui .... Pauvres Marseillais !!!! Biz à tous et plein de courage

Répondre

Anonyme24 septembre 2020 à 10:12

Bonjour Elizabeth,
Bravo et merci pour ce bon moment de lecture. Vivre libre ou mourir. A nous de choisir.

In Hoc Signo Vinces, Deus Vult.

Etienne

Fin du copié/collé

J'y ai laissé le premier commentaire d'Etienne, pour le bon souvenir.

 

Apocalypse;fin d'un monde

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